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La bottine à grand-p'pa !
Savez-vous quil y a des machines qui ne répondent quà leur maître ? Lorsque javais encore lâge où il fallait sétirer le cou pour voir à lextérieur de la voiture, jadorais particulièrement une chose : me rendre dans ce village situé au milieu de champs tout de blanc où je trouvais à coup sûr, dans la chaleur qui habitait la maison de mes grands-parents, des adorables petits "mâche mallow" jaunes à saveur de banane. Cette récompense ou ce conditionnement classique offert généreusement par ma grand-mère me donnait toujours le courage daffronter le frustrant voyage en voiture. Mais cette petite " nanane ", nen déplaise à mon chien, nétait pas le seul attrait que javais pour ce coin de pays. Et non, car pour qui regardait bien les vastes étendues blanches bordant le petit village de lAscension, on pouvait apercevoir à des moments précis une bottine, au dôme jaune et à la queue noir, survolant furtivement la neige avec une mélodie saccadée quimposait la limite de son moteur à deux temps. La caresse musclée quengendrait lair froid du mois de février sur mon visage en peau de pêche me donnait une savoureuse idée de la vitesse à laquelle elle nous propulsait. Jadorais glisser comme un fantôme sur la neige accroché fermement à mon grand-père qui manoeuvrait avec agilité la vieille bottine. ![]() Malheur à celui qui osait saventurer avec elle sans la connaître aussi bien que mon grand-père. Malheur à ce beau paysage du Lac-St-Jean qui devait encaisser un : " CALICE " provenant de cet amateur en science de la bottine. Dans ces moments, même les bons mécaniciens ne pouvaient lui redonner un second souffle. La plus grande et la seule preuve suffisante à lobjectivité que javais à lépoque pour étayer ce fait était lexcursion de mon oncle Gilles. Ce grand mécanicien, dont on mavait raconté quil possédait lagilité et les connaissances nécessaires pour soigner les mastodontes de dix roues, navait même pas su sy prendre avec la bottine. Le pauvre est resté déchaussé à dix milles du village ! Cette bottine, croyez le ou non, ne répondait quà une seule et unique chose : les paroles de mon grand-père. Lui, et lui seul savait parler à la bottine. Jamais je ne lai vu incapable de la faire revivre. Il a toujours trouvé les mots quil fallait, et peu importe ce quen ont dit mes oncles aux discours faibles devant la dame, je reste persuadé que cette machine, tel un chien fidèle ne répondait vraiment quà son maître. Maintenant que les excursions en voiture ne sont plus un obstacle pour moi et que Bombardier fabrique des Ski-Doo qui nont plus besoins de mots doux à loreille pour redémarrer, je ne suis plus certain que la vieille bottine était magique et quau fond mon grand-père connaissait bien sa mécanique. Il nen demeure pas moins que je nai plus jamais revu la bottine après la mort de mon grand-père. Je ne peux mempêcher de croire quil était impossible pour elle de vivre sans son maître. Sébastien |
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